27 Novembre 2013
Les 5 clés de la Sérénité
par Christophe André
DOSSIER COORDONNÉ PAR VIOLAINE GELLY
paru dans PSYCHOLOGIES Magazine N°332 – Sept-2013
En période de crise, plus que jamais, nous avons envie de sérénité, de calme et
d'apaisement. Mais où trouver ces instants de grâce ? Ou, plus simplement, comment
les reconnaître quand ils nous traversent, et comment les susciter ? Le psychiatre
Christophe André, auteur des États d'âme, Un apprentissage de la sérénité et de
Sérénité, vingt.-cinq histoires d'équilibre intérieur, partage avec nous les pistes
issues de son travail et de sa réflexion. Au fil de notre dossier, apprenez à agir pour
nourrir votre paix intérieure : accepter ses émotions (1), pratiquer l'autocompassion
(2), remercier les autres (3), vivre en pleine conscience (4) et se relier la nature (5).
CHRISTOPHE ANDRÉ
Psychiatre et psychothérapeute, il dirige une unité spécialisée dans le traitement des troubles
anxieux et phobiques à l'hôpital Sainte-Anne, à Paris et enseigne à l'université Paris-X. Il est l'auteur
de nombreux ouvrages tous publiés chez Odile Jacob. Dernier paru : Sérénité, vingt-cinq histoires
d'équilibre intérieur (2012).
«ETRE SEREIN C'EST REFUSER LES FAUSSES URGENCES »
Pas besoin de se retirer du monde. Même dans des situations difficiles, nous pouvons trouver
des bulles d'apaisement. Notre expert de la sérénité, Christophe André, nous dit comment.
PROPOS RECUEILLIS PAR HÉLÉNE FRESNEL
Psychologies : Comment définiriez-vous la sérénité ?
Christophe André : C'est un bonheur tranquille et connecté. La sérénité est une émotion
agréable, même si, contrairement à la joie, elle est de basse intensité. Elle nous plonge dans
un état d'apaisement intérieur et d'harmonie avec l'extérieur. Nous éprouvons un sentiment
de calme mais il ne s'agit pas d'un repli sur soi, d'un enfermement. Nous nous sentons
confiants, en lien avec le monde, cohérents. Nous avons l'impression d'avoir trouvé notre
place.
Comment y accède-t-on ?
C.A.: C'est un phénomène qui nécessite la réunion de certaines conditions pour surgir. Il est
parfois provoqué par le cadre qui nous entoure, comme quand nous atteignons le sommet d'une
montagne et que nous contemplons longuement le paysage ; ou que nous assistons au lever
ou au coucher du soleil... Parfois, notre environnement n'y est absolument pas propice, mais
nous parvenons pourtant à la sérénité, « de l'intérieur»: par exemple, un état de calme qui
nous habite paradoxalement alors que nous sommes compressés dans le métro. La plupart du
temps, c'est un phénomène subtil qui émerge quand la vie desserre un peu son étreinte sur
nous et quand nous-mêmes lâchons prise. Mais, pour le ressentir, il est nécessaire d'être dans
un état d'esprit ouvert à l'instant présent; si nous sommes dans la rumination, l'action ou la
distraction, c'est beaucoup plus difficile. Quoi qu'il en soit, et comme toutes les émotions
positives, la sérénité ne s'éprouve pas de manière continue et permanente. Ce n'est d'ailleurs
pas le but recherché. Notre travail consiste à essayer d'augmenter la fréquence de ses
apparitions, de les faire durer et de les savourer le plus possible.
La sérénité consiste-t-elle à nous couper du monde ?
C.A.: La sérénité suppose effectivement un relatif désengagement vis-à-vis du monde. Nous
cessons de vouloir faire quelque chose, obtenir ou contrôler. Ce désengagement ne concerne
cependant que l'action. Nous restons réceptifs à ce qui nous entoure. II ne s'agit pas de se
retirer dans sa « forteresse », mais de se mettre en lien avec son environnement. C'est la
conséquence d'un état de présence intense, mais non réactive, à ce qui compose à cet instant
notre vie, même si c'est bénin, même si c'est anodin. La sérénité est plus facile à atteindre
quand nous baignons dans un environnement magnifique que quand ce dernier est agressif. Il
existe néanmoins des moments de sérénité dans le tumulte. Tous ceux qui prennent le temps
de s'arrêter pour analyser, ressentir ce qui leur arrive, ce qu'ils éprouvent, arrivent à la
sérénité à un moment ou à un autre.
On associe souvent sérénité et méditation, est-ce la seule voie?
C.A.: Non. Il suffit parfois de se connecter à un environnement lui-même serein et de s'en
laisser imprégner. Il est également possible d'y arriver par la prière, par une forme de
réflexion philosophique sur le sens de la vie. Par le lâcher-prise aussi. Car ce qui favorise
l'émergence de la sérénité, c'est de prendre régulièrement le temps de se poser; de cesser
d'agir, de vouloir, de courir après des résultats, quels qu'ils soient; d'être dans une présence
attentive et respectueuse au monde. Or, il se trouve que c'est précisément ce que la
méditation, et particulièrement la pleine conscience, propose. Elle ne nous dit rien d'autre
que : «Arrêtez-vous, observez, respirez ! » Nous avons plus de chances de vivre des instants
de sérénité en méditant qu'en surveillant nos e-mails tout en répondant au téléphone et en
avalant un sandwich. Nous avons juste à observer le monde tel qu'il est : des objets, des
humains, des nuages, des ciels dont nous n'attendons rien. La pleine conscience facilite tout
cela, mais elle n'est pas l'unique voie.
Quelles sont les autres voies?
C.A.: Deux grandes voies méditatives cohabitent. La première s'appuie sur la focalisation,
le rétrécissement du champ de l'attention : il s'agit de ne plus s'intéresser qu'à une chose,
son souffle, un mantra, une prière, la flamme d'une bougie... Et d'écarter de la conscience
tout ce qui ne concerne pas l'objet choisi pour méditer. La deuxième voie se concentre sur
la technique inverse : ouvrir son attention, être présent à tout, de son mieux, à son souffle,
à ses sensations corporelles, aux bruits autour de soi, à tous ses ressentis, à toutes ses
pensées. C'est la pleine conscience : au lieu de me focaliser, je fais l'effort permanent
d'ouvrir mon esprit à tout ce qui est là, à chaque instant.
Toutes les pratiques méditatives n'ont-elles pas le même objectif?
C.A.: Pour certaines, il s'agira de nous rendre beaucoup plus présents au monde auquel nous
appartenons, ce que la pleine conscience appelle la « conscience sans objet ». L'intention est
de se sentir simplement et fortement en vie. Pour d'autres, il s'agira de poursuivre ce que,
par exemple dans le zen, on appelle le satori, un état d'éveil qui nous révèle le monde. Dans
les deux cas, rien d'intellectuel, au contraire : pas d'action, mais une observation tranquille;
pas d'attentes, juste une intention d'intensifier notre présence au monde et de laisser
tranquillement venir. D'autres approches encore visent au développement des émotions
positives : dans le bouddhisme, c'est le travail sur la compassion, l'altruisme.
Et pour nos émotions négatives?
C.A.: L'apaisement des émotions négatives est un préalable en général nécessaire à la
sérénité. Les pratiques méditatives utilisées dans les cabinets des psys insistent sur ce point.
À Sainte-Anne, je travaille beaucoup avec des patients confrontés au stress, à l'anxiété,
à la dépression, au ressentiment, à la colère. Nous leur montrons comment stabiliser son
attention sur l'instant présent permet de stabiliser ses émotions. Nous tentons aussi de leur
apprendre à établir un rapport différent à ces émotions douloureuses, à ne pas chercher à les
contrôler, à essayer de ne pas s'y noyer en les ruminant, et à plutôt les accueillir pour tenter
de désamorcer leur influence. Souvent, le problème, avec les émotions fortes et douloureuses,
c'est qu'elles captent toute notre attention. Nous en devenons prisonniers, nous nous
identifions à elles, elles nous vampirisent. L'idée est de dire aux patients : « Permettez à ces
émotions d'être là, à votre esprit; mais pas toutes seules, ne leur laissez pas occuper à elles
seules tout votre espace mental. Ouvrez aussi votre conscience à votre corps et au monde
extérieur pour que l'influence de ces émotions se trouve diluée dans une conscience aussi
vaste et ouverte que possible. »
Chercher la sérénité dans l'actuelle situation de crise généralisée que nous traversons, est-ce
bien réaliste?
C.A.: Je pense que, si les humains ne s'occupent pas de leur équilibre intérieur, s'ils le laissent
en friche, ils vont non seulement souffrir davantage, mais aussi être plus manipulables,
plus impulsifs. Le travail sur notre intériorité nous rend plus présents. C'est ce que
Thomas d'Ansembourg [psychothérapeute spécialisé en communication non violente, ndlr]
appelle l'« intériorité citoyenne » : prendre soin de notre intériorité va faire de nous de
meilleurs humains, plus cohérents, plus respectueux, à l'écoute des autres, moins injustes.
Nous nous engageons de manière plus calme, mais aussi plus tenace. Nous sommes moins «
endoctrinables », plus libres. Et puis la sérénité permet aussi de tenir la distance dans les
combats que nous engageons.
Nous ne pouvons pas uniquement fonctionner à l'impulsion, à la colère, au ressentiment...
Les grands leaders comme Nelson Mandela, Gandhi, Martin Luther King ont tous cherché à
s'en extraire. Ils voient sur le long terme, savent que démarrer par la violence conduit à la
violence, à l'agressivité, à la souffrance. La sérénité permet de garder intacte notre capacité
à nous indigner et à nous révolter, mais de la manière la plus efficace et adaptée possible.
Est-elle accessible à tous?
C.A.: Tout le monde peut accéder à la sérénité, mais tout le monde n'a pas les mêmes
aptitudes. Certains partent avec un meilleur capital que d'autres : ils sont émotionnellement
plus stables, mieux capables de combattre leur stress... Une personne avec un tempérament
anxieux, élevée dans une famille d'anxieux, une autre dans le sacrifice permanent ou dans la
méfiance par rapport au bonheur « parce que ça ramollit » vont avoir du mal à lâcher prise :
elles auront toujours tendance à être dans des actions protectrices, anticipatrices. Elles
n'auront pas conscience que nous sommes aussi sur terre pour, de temps en temps, savourer
notre existence, admirer, partager, et pas seulement pour nous protéger de l'avenir et de
l'adversité. Mais la marge de manoeuvre existe et tout le monde peut accéder à davantage de
sérénité.
Ne faudrait-il pas aujourd'hui plutôt résister et agir que lâcher prise pour être heureux ?
C.A.: Comme si les deux étaient incompatibles ! Pour moi, c'est comme si vous opposiez
inspirer et expirer ! En réalité, l'action psychologique n'empêche pas l'action politique. Il y
a des moments dans la vie où il importe de résister, d'agir, de combattre, et d'autres où il
faut lâcher prise, être dans l'acceptation, c'est-à-dire simplement accueillir ses émotions.
Ce n'est pas démissionner, ni laisser faire, ni se soumettre, ni obéir. Le lâcher-prise, quand
il est bien compris, c'est un programme en deux temps - accepter le réel et l'observer
puis agir pour le changer - qui permet de ne pas être dans la réaction ou dans l'impulsion
guidées par l'émotion brute. C'est une antichambre de décontamination où nous sondons,
examinons les émotions dans un espace mental le plus vaste possible pour essayer de décider
ce qu'il sera bon de faire, quel genre d'actions proches de nos valeurs, de nos attentes nous
pourrons engager. L'idée est de « répondre » à ce qui nous arrive avec notre esprit et notre
coeur plutôt que de « réagir » dans l'urgence de l'émotion. C'est une dictature de notre
époque de vouloir que les individus soient très réactifs, prennent des décisions importantes
immédiatement, un peu comme quand les vendeurs essayent de nous arnaquer en disant : « Si
vous ne le prenez pas maintenant, il n'y sera plus ce soir ou demain ! » Notre monde essaye de
nous arnaquer en nous faisant croire que l'urgence est partout. La sérénité consiste à refuser
les fausses urgences. Elle n'est pas une dérobade face au réel, juste un outil de sagesse et de
discernement.
1. ACCEPTER SES ÉMOTIONS
« Positivez ! » C'est le slogan du moment. Une maladie devient l'occasion de profiter
de ses proches, un licenciement, celle de se reconvertir... Et si, à force de toujours
voir les choses du bon côté, nous nous empêchions d'être en paix
Une panne sur l'autoroute ? Tant mieux : en attendant la dépanneuse, je prends enfin du
temps pour moi. Le métro plein à craquer? Une aubaine, je manquais de contact humain. Il y
a des gens étonnants qui positivent tout, tout le temps. Comme si chaque tuile de l'existence
était bonne à prendre, comme si, derrière un drame, se cachait toujours une leçon de sagesse.
Et ces personnalités formidables, shootées à l'optimisme, vous expliquent, avec un sourire
parfois inquiétant, que vous seriez plus heureux si vous surfiez sur le bon côté des
événements. C'est, dans sa version sympathique, la première leçon de l'ours Baloo lorsqu'il
enseigne la loi de la jungle à Mowgli : « Prenez la vie du bon coté, riez, sautez, dansez,
chantez, et vous serez un ours très bien léché(1). » Pas sûr.
L'ÉCHEC EST FORMATEUR
« Dans tous les domaines, notre société concurrentielle nous pousse à être performants.
Pour cela, il faut positiver, quitte à enjoliver son curriculum vitae pour qu'il montre un
cheminement couronné de succès », relève la psychanalyste et philosophe Monique David-
Ménard(2). Mais la pression est si forte que « nous voyons arriver dans nos cabinets des
personnes construites sur cet idéal de réussite absolue tout à coup s'effondrer lorsqu'elles
échouent ». À tout positiver, elles n'ont pas appris à supporter leurs zones de tristesse
et sombrent dans la mélancolie. « C'est dommage, car nos difficultés et nos ratages nous
donnent un enseignement précieux sur nous-mêmes », reprend-elle.
Une rupture sentimentale nous révèle, par exemple, un investissement excessif ou un
échec peut-être désiré. Grâce à Freud, nous savons désormais que ces fameuses pulsions
antagonistes de vie et de mort, d'éros et de thanatos, constituent la richesse et la
complexité de la psyché. Regarder ce qui ne va pas si bien, c'est considérer nos failles, nos
faiblesses et nos peurs, toutes ces facettes qui font notre singularité. « Il y a quelque chose
de très personnel dans notre manière de répéter les mêmes impasses », confirme Monique
David-Ménard. Et la liberté est là, « lorsque nous trouvons dans nos échecs le matériau de nos
réussites ».
LES ÉMOTIONS DONNENT UN SENS
Sophie, 30 ans, connaît bien cet instant où, par crainte d'être débordée par ses émotions, elle
regarde ailleurs en se disant que ce n'est pas grave. Si bien qu'on lui reproche souvent d'être
distante, insaisissable. « C'est le cas : dans ma tête, je m'en vais très loin, jusqu'à mes 10
ans, lorsque, rejetée par mes camarades de classe, je dédramatisais en me persuadant que je
m'amusais mieux toute seule. » Réfugiée dans sa coquille comme à son habitude, elle se prive
de l'opportunité de faire, pour une fois, un peu différemment.
« C'est tout le travail de la thérapie : amener le patient à regarder comment il est touché
par un événement et ce que cela réactive d'une situation déjà vécue, pour apprendre à réagir
de manière plus adaptée au moment présent », analyse Jean-François Gravouil (3), gestalt-
thérapeute. Car, si les émois de Sophie adulte témoignent de son histoire d'enfant, ils parlent
aussi de ce qui se passe, dans le moment présent, avec son interlocuteur.
Pourquoi cette conversation déclenche-t-elle, aujourd'hui, de telles émotions? En les
mettant à distance, elle se coupe d'elle-même, de l'autre, et s'empêche de le rencontrer
vraiment. La pensée positive, parce qu'elle ne permet pas de s'ajuster à la situation actuelle,
peut être « un déni de réalité, résume Jean-François Gravouil. Pour ne pas être confronté
à ce qui nous menace ou nous fait peur, nous refusons de voir ce qui, dans le réel, nous
dérange ». Nous l'édulcorons pour être, provisoirement, en paix, mais nous courons en fait à la
catastrophe. « Nous avons beau nous dire que la route est droite, s'il y a un virage, nous allons
finir dans le décor », illustre-t-il. Or, ainsi que l'enseignait le maître indien Swâmi Prajnânpad,
toute action juste passe par « dire oui à ce qui est ». Considérer la situation telle qu'elle se
présente permet de trouver les ressources adéquates, de faire des choix pertinents.
« Les pensées positives comme les négatives sont deux voies dangereuses et stériles, poursuit
le gestalt-thérapeute. Dans les premières, nous sommes du côté de la toute-puissance, tout
est rose, tout est possible; dans les secondes, du côté de l'impuissance, du défaitisme. »
Dans les deux cas, nous restons passifs, nous ne créons ni ne construisons rien. Nous ne nous
engageons pas ni ne nous donnons les moyens de transformer le monde. Nous n'écoutons pas
nos émotions, au sens étymologique du terme, ex movere : ce qui nous mobilise, nous pousse à
l'action.
L'AMBIVALENCE FAIT GRANDIR
Cette injonction moderne à positiver, à faire bonne figure, permet aussi parfois de museler
tout discours un peu trop contestataire. C'est le fameux « Ne m'apportez pas de problème,
donnez-moi des solutions », malheureusement répété par nombre de chefs d'équipe. Avec,
en embuscade, ce reproche caché : faites des efforts, soyez performants, flexibles,
rebondissez ! Marc, 45 ans, commercial, raconte ainsi : « Notre patron nous a annoncé une
bonne nouvelle : pas de licenciements... à condition de renoncer à nos primes. Nous étions
invités à nous réjouir. » Les esprits chagrins qui auraient le malheur de pointer la supercherie
sont accusés de ne pas être constructifs, de plomber l'esprit d'équipe. « Quand vous devenez
dérangeant, vous êtes culpabilisé parce que vous n'êtes pas assez docile », souligne Jean-
François Gravouil.
La pensée positive refuse la pensée complexe, chère au sociologue et philosophe Edgar Morin
(4), un peu trop coûteuse sur le plan psychique. « Parce qu'elle prend en compte des éléments
contradictoires, la complexité nous installe en effet dans un équilibre instable, là où un choix
est toujours relatif, contestable », précise le gestalt-thérapeute. Il n'y a jamais de bonne
réponse. D'où la tentation d'éviter les complications, de ne voir que le bon côté des choses en
espérant être ainsi plus serein.
« C'est plus facile, mais c'est assez infantile », observe encore Jean-François
Gravouil. L'accession à la maturité psychique se fait en effet lorsque nous acceptons
l'ambivalence : « Le bébé est dans une vision à la fois persécutrice et clivée du monde : le
sein qui arrive quand il a faim est le bon objet; le sein qui ne vient pas, le mauvais objet.». En
grandissant, l'enfant prend conscience que, dans les deux cas, le sein est sa mère. Il admet
ainsi que, chez elle comme chez lui et en toute chose, il y a du bon et du mauvais, du positif et
du négatif.
L'ANGOISSE EST HUMAINE
En ces temps de grisaille économique et sociale, nous aurions pourtant parfois besoin
de positiver un peu plus. « Tant que nous ne l'utilisons pas comme système de réponse
systématique, la pensée positive offre un confort psychologique », estime Jean-François
Gravouil. Elle met du supportable là où nous pourrions être terrassés par la peur. « Dans des
situations de grande insécurité, il est indispensable de tamiser ce qui ne va pas. Positiver
certains aspects de sa vie permet de ne pas être envahi par l'angoisse », atteste Monique
David-Ménard. Par exemple, ne pas trop regarder à quel point son couple bat de l'aile lorsque,
au chômage, nous concentrons notre énergie à retrouver du travail.
« À l'inverse, il peut être tout à fait inopportun de positiver. Cela signalerait que nous ne
supportons pas d'entendre une plainte. Or, il faut parfois que l'envie d'être malheureux
s'épuise », note la psychanalyste. Rien ne sert d'asséner à un ami effondré qu'il faut prendre
la vie du bon côté. Et de conclure : « Entre l'idéal absolu de performance et l'intolérable
dégringolade de l'échec, nous pourrions inventer des modes de réussite qui supportent une
dose de ratages ». Positiver un peu, mais pas trop, et pas tout le temps.
1. In Le Livre de la jungle de Wolfgang Reitherman (Studios Watt Disney, 1967).
2. Monique David-Ménard, auteure d'Éloge des hasards dans la vie sexuelle (Hermann, 2011).
3. Jean-François Gravouil, La psychothérapie dans la société: instrument ou ferment?» (Gestalt n°29, 2005,
sur cairn.info).
4. Edgard Morin, auteur d'Introduction à la pensée complexe (Seuil, `Points'; 2005).